Je viens d’obtenir mon Master de journalisme après cinq ans d’études. Et depuis la fin de mon premier CDD en août, je pointe au chômage. Comme tout le monde, je galère un peu, d’entretiens d’embauche ratés en candidatures spontanées sans réponse. Pas plus bête qu’un autre, je me dis que je finirai bien par trouver. Il n’empêche que parfois, dans ma quête désespérée d’un emploi, je me surprends à rêver l’improbable.

Le coup de fil inespéré du magazine de mes rêves
Je suis réaliste et j’ai la tête sur les épaules. Comme je n’ai encore que trois ans d’expérience dans les médias, je vise petit et je pose beaucoup de candidatures spontanées auprès de magazines, de journaux et de radios un peu méconnus. Néanmoins, qui ne tente rien n’a rien, alors j’alpague aussi de plus grands noms. Et je ne vous dis pas l’excitation que me procure l’envoi d’un CV chez Première, MadMovies, MadmoiZelle ou Grazia. Même si la raison me rattrape toujours, il m’arrive d’imaginer que mon téléphone sonne, coup de fil d’un numéro inconnu. Là, je décroche et… « Oui, bonjour mademoiselle, c’est Philippe Manœuvre, le mythique rédacteur en chef de Rock’& Folk. J’ai bien reçu votre candidature spontanée et j’aimerais vous offrir un CDI sur un plateau d’argent bardé de homards et de langoustines. Vous pourrez interviewer Bruce Springsteen tous les mois jusqu’à votre retraite. » Puis, j’accepte, tombe dans les pommes et me réveille dans ma propre urine.

En réalité, il n’y a bien que Carrie Bradshaw pour se réveiller un beau matin et recevoir un message de Vogue la suppliant de devenir rédactrice à temps plein. Et ce, alors que la fille n’a fait qu’écrire une rubrique sexo dans un journal inconnu pendant près de dix ans. Le problème, c’est que Carrie Bradshaw n’existe pas. HBO nous a menti de 1998 à 2004. En même temps, comment peut-on croire que cette jeune femme parvient à s’offrir des escarpins Jimmy Choo et dîner tous les soirs à l’extérieur avec un salaire de pigiste ? Tout est de la faute de Carrie. N’empêche, je ne lui en veux pas vraiment. Parce que sans un peu de paillettes et de rêveries, on perdrait tous vite espoir. Les fantasmes nous motivent et nous galvanisent, même si nous avons conscience qu’ils restent des fantasmes. Alors bon, je continue à candidater chez Rockyrama pour entretenir le feu qui m’habite. Même si je ne néglige pas les annonces « Rédacteur/trice web » sur Indeed.

Tout plaquer et lancer ma carrière à Broadway
N’avoir aucune occupation sur le plan professionnel, c’est aussi se dire que l’on peut repartir de zéro. Viennent alors à l’esprit des projets, certains envisageables, d’autres un peu moins. Perso, mon projet le plus fou serait d’investir mon argent dans un billet d’avion sans retour, direction New-York. Là-bas, je louerais un vieil appart’ pourri dans le Bronx et je courrais les castings à Broadway. J’ai toujours aimé chanter et danser. Petite, mon plan de carrière, c’était Britney Spears. Sauf qu’il faut impérativement que je m’asseye au bout de trois minutes de rock endiablé sur la B.O de Retour vers le futur. Et puis, si je gère le rôle de Rizzo dans Grease, ma prestation sur Rain on my parade s’apparente plus à l’attaque pulmonaire qu’à la puissance mélodieuse de Barbra Streisand.

Au fond, je n’ai rien en commun avec Barbra. Hormis la longueur d’ongles record que j’obtiens par accident, en repoussant ma manucure au lendemain pendant six semaines. Puis bon, les nanas qui passent les castings là-bas sont des machines de guerre qui s’entraînent dur depuis l’âge de six ans. Moi, à six ans, je fabriquais des ronds de serviettes avec des rouleaux de papier toilettes vides. Du coup, je redescends vite sur Terre et je me rappelle que de toute façon, je n’ai pas de passeport, et qu’obtenir un visa de travail pour les États-Unis ferait passer une dangereuse chevauchée à dos d’araignée géante dans la forêt interdite pour une promenade de santé. Toutefois, je me rappelle que j’ai encore tout à construire et que tout est possible. Le chômage, même dans un milieu aussi difficile que le journalisme, ce n’est pas un échec en soi, c’est le point de départ d’une nouvelle vie et de nouvelles perspectives. Plus réalistes qu’un one-woman show sur Broadway cependant.
… Et what a feeling !
Ma plus grande angoisse dans la recherche d’emploi demeure l’entretien d’embauche. J’ai l’impression de raconter des conneries plus grosses que moi devant l’impassibilité du recruteur. Alors que bon, quand j’y réfléchis, je fais toujours preuve d’honnêteté. À la sortie d’un entretien, je me sens toujours mi-figue mi-raisin. « Il/elle a ri à telle de mes blagues, donc ça va. En revanche, il/elle a froncé les sourcils quand j’ai dit tel truc. » Rha ! Quand j’étais petite, mon film préféré, c’était Flashdance. Vous voyez la scène finale où le jury de l’audition s’émoustille devant l’incroyable souplesse d’Alex ? Et bien, je rêve que mes entretiens d’embauche se déroulent de la sorte. Version journaliste, bien sûr. Je me vois mal exécuter un triple salto, puis une roulade, et ensuite faire la toupie sur le dos devant la rédactrice en chef de Buzzfeed. Non pas que je n’en ai pas les capacités, mais quand même.

Je rêve d’une banque d’un(e) chef avec qui le courant passerait immédiatement. Il/elle serait le grand manitou d’un magazine lifestyle/culture/cinéma (rayez la mention inutile) et l’on remarquerait d’entrée de jeu que nous sommes sur la même longueur d’ondes en à peine quelques échanges.
« Parlez-vous Urban Decay ?
– Évidemment !
– Quelle est la meilleure boisson chez Starbucks ?
– Le Chaï Latte.
– Bonne réponse. Et que pensez-vous d’Angelina Jolie ?
– Je la déteste de façon épidermique.
– Moi aussi ! Félicitations, vous commencez lundi. »
Et là, je sortirais de la boîte en courant comme une dératée, on entendrait What a feeling d’Irene Cara résonner et un beau gosse m’attendrait avec un bouquet de roses et un énorme chien nommé Platon pour que je me jette dans ses bras. Bref, c’est pas demain la veille.
Je vous laisse. J’ai désormais pour projet professionnel de remporter la prochaine saison du concours de drag queens RuPaul’s drag race en rembourrant ma culotte avec une paire de chaussettes afin de dissimuler ma féminité. Si on vous demande, mon nom c’est Gracie Lou Freebush.