Depuis 2004, la chaîne de café Starbucks a progressivement étendu son réseau tentaculaire dans toute la France. Faisant au passage des ravages irréversibles au sein de la population. L’enseigne a, en effet, eu l’idée de génie d’associer les deux substances les plus addictives au monde : la caféine et le sucre. Loin de toute objectivité, mes papilles américanisées m’auront fait céder au charme de l’un des empires du grand capitalisme.
On s’est rencontré un froid matin de janvier, il y a de cela environ dix ans. Je m’étais amourachée d’un bellâtre parisien. Lequel vantait sans cesse les mérites des brasseries locales et le goût inimitable du « petit noir » accoudé au zinc. Celui qu’on sert dans tant d’illustres maisons qui font, aujourd’hui encore, la fierté de la capitale. Ce matin-là, je sortais d’un énième rendez-vous, pleine d’espoir, quant à un possible avenir dans la presse culturelle locale. Encore un échec. Et un froid de canard venait pénétrer ma veste de blazer, ouverte sur le décolleté le plus large que je n’ai jamais possédé. J’avais, en effet, désespérément déployé l’ensemble de mes facultés. Intellectuelles comme physiques.

Je me gelais donc gravement les miches sur les grands boulevards, à la recherche d’un bout de comptoir où me réchauffer… et avaler un petit-déjeuner. C’est alors que je la vis. L’enseigne verte des séries télévisées. Carrie Bradshaw, Anthony Dinozzo, Bart Simpson… Ils ont tous tenu un jour entre les mains un gobelet de la firme de Seattle. Naïve enfant de province, je ne pus résister à l’attraction exercée par les jolis muffins, les imposantes parts d’Oreo cake et les sièges en cuir invitant au cocooning. Ainsi donc, je passai la porte pour découvrir un monde insoupçonné de merveilles, toutes saupoudrés de marketing à l’Américaine. Consumérisme, j’écris ton nom et m’en délecte.

Née au début des années 90, je ne connus pas le choc générationnel que certains ressentent à l’idée de commander leur café à la façon d’un menu McDo. En le choisissant sur panneau lumineux, à la file indienne, parmi une combinaison infinie de saveurs artificielles. Au contraire, quinze ans de culture fast-food arrosée à la sauce HBO / Disney ont rendu ce comportement presque naturel dans mon subconscient. L’attrait de la nouveauté et l’influence des contenus télévisuels poussaient également la fan de Scrubs et de Sex & the City en moi à tenter l’expérience. Alors, je commandai mon premier Grande et ma première part de cake, en glissant mon prénom au barista, tout comme j’avais vu faire Miranda Hobbes sur le téléviseur encore cathodique du salon familial.

Me voici donc assise, une part de cheesecake et un Caramel machiatto devant moi. Pour près de dix euros, la note est salée. Néanmoins, la hype est grande. Doucement, je porte à mes lèvres une première gorgée du breuvage sacré. Le verdict est sans appel. Aussitôt, je suis conquise par ce mélange lacté, sa note d’expresso amère et le grand renfort de sucre qu’il emploie pour séduire mon palais. Plus qu’une boisson, c’est une pâtisserie en gobelet jetable. Le McFlurry du café, le chef-d’œuvre de la recette fast-food adaptée aux adultes. Mon cœur choit et instantanément, je sais que je lui serais à jamais fidèle. La part de cake m’achève : Ô sirène, je suis tienne devant l’éternel.

Depuis, j’ai écumé tous les Starbucks des villes dont j’ai foulé le sol. Je souffre effectivement d’une addiction. Parfois, l’idée d’un Chaï latte coco avant le travail suffit à me sortir du lit. Si vous l’accompagnez d’un Chocolate lover, j’y cours avant 9 heures. En automne, je suis sur le qui-vive quant au retour du Pumpkin spice latte. L’hiver, seul le Gingerbread latte parvient à réchauffer mon cœur. Et l’été, je donnerais ma vie pour une cup de Refresha parfum hibiscus. Je ne préfère pas mon enseigne américaine chérie au café noir-croissant des terrasses bien françaises. Ce ne sont point les mêmes plaisirs. Starbucks est un vice, une anomalie dans mon fonctionnement, un bug dans ma matrice. Néanmoins, mon amour lui est entier et sincère.

Je ne suis pas aveugle pour autant. J’entends tous les arguments de ceux qui pointent du doigt les errances fiscales de l’entreprise, ses égarements côté ressources humaines, son Fair trade pas si Fair trade. Je sais. Je sais que les gobelets sont couverts d’un film plastique qui les rend non-recyclables. Et qu’ils auront beau inciter à employer des gobelets réutilisables, proposer du marc de café gratuit pour son compost… Je sais que tout ceci relève du green-washing. Toutefois, vous savez bien ce qu’on dit, il paraît que le diable sait parfaitement se montrer séduisant. Et dans mon cas, il ne s’habille pas en Prada. Non. Il est surmonté d’une mousse de lait et saupoudré d’une délicate touche de cannelle…
Un Mocha lait d’avoine en venti, s’il vous plaît !
